Nejda Blog

Magazine Invente-moi le monde N° 16 : "Changer le plomb en or"

 
La journée du 18 juillet de chaque année a été proclamée "Nelson Mandela Day" par l'UNESCO.

Je suis née dans un monde dans lequel l'apartheid existait. J'ai grandi avec les images de Nelson Mandela en prison, les concerts de soutien à la télévision. Et j'ai aussi grandi dans un monde qui a vu la fin de l'apartheid et Nelson Mandela président.

Ce 18 juillet 2021, j'écoutais une interview de Mandela réalisée en 1990, peu de temps après sa libération, après 27 ans de captivité. Cela m'a fait du bien de l'écouter parler de son combat avec une telle force et une telle pugnacité. On a souvent une image de Mandela très douce et apaisée, mais on oublie parfois ce qu'il a traversé et l'incroyable énergie de résistance dont il a fait preuve pendant si longtemps.
Cet homme était un combattant qui ne laissait rien ni personne le déstabiliser. Amoureux de la paix, certainement, mais pas au point de faire des compromis avec ses principes et ses convictions.

Ce qui est vrai, c'est qu'il a réussi à transformer la colère en action et non en haine. C'est vrai aussi que recouvrant la colère, il y a un halo de calme intérieur et de douceur qui émane de sa personne.

Ce qui m'a fascinée dans cette interview, c'est le fait que Mandela a toujours gardé le pouvoir tout au long de l'entretien. Il était là pour répondre à des questions, presque toutes plus provocantes les unes que les autres, mais il n'a jamais permis à ses interlocuteurs de mener la danse de façon à l'emmener en-dehors de sa propre pensée et de sa propre énergie. Il se donnait la permission de ne pas répondre à la provocation tout en répondant à l'attaque. Il imposait son rythme et ses règles, en toute amabilité et avec humour, mais avec une implacabilité totale.

Je crois qu'il faut avoir une confiance inébranlable en soi pour pouvoir garder un tel calme, tout en contrant chaque attaque sans exception avec cette force implacable de l'homme juste. Il ne laissait aucune insulte ni aucune condescendance à son égard sans réponse, mais il emmenait le débat plus haut, vers les véritables enjeux. J'avais l'impression d'assister à un combat d'art martial qui aurait opposé des adversaires plus ou moins entraînés et un maître absolu qui vous met à terre et vous neutralise sans vous blesser tout en vous enseignant une nouvelle technique.
Il a réussi à faire rire ses adversaires comme ses supporters. Il a réussi à se moquer amicalement de ses attaquants tout en se moquant de lui-même. Il a réussi à transformer un moment d'attaque et de tension en un moment de calme, et parfois de rire, tout en démontrant qu'il était un combattant inflexible.

Et je crois que c'est ce qui m'inspire tellement dans l'histoire du combat contre l'apartheid : le pouvoir de transformation. Le fait d'avoir pu transformer un pays entier en le faisant passer de ce qu'il y a de plus laid au monde : la haine, le racisme et la domination de l'autre, à une nation et une réunion d'êtres humains.

Parfois, enfant, je ne comprenais pas ce que je prenais pour de la mansuétude de la part de ceux qui avaient été opprimés. Je ne comprenais pas les lois d'amnistie. Aujourd'hui, je comprends le travail d'alchimiste qui était à l'oeuvre. Transformer le négatif en positif demande de passer par la vérité, toujours. Mais cela demande aussi de renverser les forces en présence, de neutraliser une laideur par une beauté et non par une nouvelle violence.

Je crois que ce travail de transformation est à la base du travail de l'artiste et au final de tout être humain qui a envie que sa vie ait du sens. Personnellement, j'aime les artistes qui me donnent de la force, de l'espoir, une envie de vivre encore plus pure et plus intense. Ce sont ceux qui prennent une douleur et en font une chanson d'espoir, ceux qui transforment la colère en force, la tristesse en un regain d'amour.
Pour moi, le travail de création requiert cet effort de transformation du plomb en or. L'unique chose intéressante dans une histoire triste et le chemin qui a été emprunté pour sortir de la tristesse. Je pense que les créateurs devraient se souvenir qu'ils sont des alchimistes, qu'ils peuvent transformer tout ce qu'ils touchent en quelque chose de plus beau qui peut, peut-être, aider un autre être humain à se sentir plus aimé, plus heureux, plus fort.

Faire le constat de l'injustice, de la douleur ou de la laideur est une chose nécessaire. Mais en tant qu'artiste, je ne peux pas laisser mon interlocuteur dans ce constat et m'en aller. Je ressens le besoin absolu de dépasser une circonstance douloureuse et de la transformer en un chemin vers de nouveaux possibles. Je crois que l'être humain est attiré inexorablement vers la beauté et que lorsque nous l'oublions, pour quelle que raison que ce soit, nous devenons tous un peu fous.

En Occident, au 21ème siècle, le rejet des religions et des idéologies - qui s'explique et se comprend parfaitement historiquement et sociologiquement - nous a laissés un peu désemparés face à notre besoin de beauté et d'absolu.
Je crois que le rôle de l'artiste et de tout créateur est devenu de ce fait encore plus important que par le passé. Face à l'amenuisement du champ des idées et des philosophies, la responsabilité des artistes est devenue immense.
Ils sont peut-être une des voies qui restent pour approcher ce besoin de transformation, de beauté et de transcendance que nous avons tous, il me semble, au fond de nous.

J'avais envie de partager avec vous ces réflexions peut-être un peu sérieuses... mais le monde n'est-il pas passionant justement parce que nous le considérons important?
Beaucoup de choses importantes se passent en ce moment autour de nous et je pense qu'il est toujours utile de se rappeler nos aînés, nos histoires, nos inspirations.
Je sais qu'en écoutant Mandela parler, je n'ai jamais autant eu envie de penser, d'agir et de transformer, donc de créer.
Et pour moi, créer est une conversation, alors je vous ai embarqués avec moi dans celle-ci.

Je vous souhaite que tout votre plomb se transforme en or et que l'histoire de cette transformation soit la plus inspirante qui soit!

Une apprentie alchimiste...
;)

Nejda

 

 


 

 

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