Magazine Invente-moi le monde N° 15 : "Le public et les artistes : un lien d'amour"
J'ai envie de vous parler d'un moment de bonheur total et de plaisir créatif partagé! Le 4 juin dernier, nous retrouvions la scène pour une performance live avec mon projet TLC - Transartistic Live Creation.
Cela faisait un moment que nous n'avions pas pu nous retrouver sur scène et surtout en public sans écran interposé. Je savais que cela me manquait, mais je n'avais peut-être pas conscience de l'intensité de ce manque. C'est en revivant l'expérience que j'ai compris à quel point elle était primordiale pour moi, essentielle dans mon rapport aux autres, lorsque qu'il s'agit de créer et de partager.
On pense parfois que l'art et la création sont des activités nombrilistes que l'on utilise pour parler de soi, sans véritable lien avec l'extérieur. C'est vrai dans certains cas. Il y a une école de pensée et de pratique artistiques qui va dans ce sens. On peut se retrouver alors face à des oeuvres qui sont plus dans l'exhibition d'une intimité que dans l'échange avec le public.
L'art, de toutes façons, a un aspect impudique. C'est un vecteur d'expression d'une intimité de pensée ou de ressenti. Donc forcément, on montre de soi, on se dévoile. Mais je pense qu'il y a plusieurs façons de le faire. On peut montrer, imposer, clamer son monde intérieur au spectateur ou on peut chercher à ouvrir un dialogue, une conversation à plusieurs.
Je n'ai rien, à priori, contre l'art qui déclame sans se soucier du public. Cela peut être un geste délibéré de liberté et une position créative. Mais personnellement, je sais que pour exprimer l'intimité de mon monde intérieur, je dois la voiler un peu, la dérober à la lumière crue, par un geste créatif qui stylise, qui crée des formes, des sensations, qui montrent les choses en filigrane.
Mais plus que tout, j'ai besoin de sentir la présence de celui à qui mon geste s'adresse. Cela vient peut-être du fait que je suis une musicienne de scène. J'ai l'habitude de voir le visage des gens qui écoutent mes paroles. Je sais que je m'adresse à quelqu'un et je me sens responsable de ce que j'offre à entendre et à ressentir.
Lorsque j'écris un poème, un essai, quoi que ce soit, je pense toujours à vous, à celui qui lit, aux émotions que cela va provoquer. J'essaie de faire en sorte d'être non seulement à l'écoute de ce que je ressens, mais aussi d'être le plus claire possible dans la transmission de ce que je dis. Je pense à vous constamment dans le geste créatif, non pas comme un contrôle extérieur, mais comme une présence avec laquelle je suis en train de partager. Et parce que je pense à vous, j'écris différemment. Parce que d'une façon que je ne peux pas expliquer, la présence même immatérielle de celui qui lit, qui écoute, qui regarde, influence le geste créatif. Il le rend plus généreux, plus clair, plus vivant.
Et cela est encore plus évident lorsque cette personne pour qui, ou avec qui, l'on crée est là à côté de vous, physiquement. Au plaisir de créer conjointement et simultanément avec Mathieu (piano) et Sabine (danse) sur scène, s'est ajouté le plaisir incroyable de sentir le public participer avec nous à la création.
En général, pendant un concert, je vois les spectateurs en face de moi et je "sens" mes musiciens autour de moi, sur scène. Mais pour ce spectacle de TLC, la configuration de l'espace a fait que j'étais au milieu du public et que je lui tournais le dos. Je pouvais ainsi voir la performance de la danseuse devant moi ainsi que les projections de texte.
Je n'ai jamais autant "ressenti" le public. Peut-être parce qu'il était juste derrière moi, autour de moi. Je le sentais respirer, penser, créer avec moi. J'avais l'impression que nous étions tous engagés dans le même geste, dans la même impulsion. Le fait d'improviser un spectacle le rend de toutes façons beaucoup plus vivant et relié aux spectateurs. Le fait que les artistes du spectacle vivant et le public aient été séparés pendant une longue période a certainement rendu l'expérience encore plus intense et plus palpable.
Mais je crois qu'il y a ce quelque chose du lien entre les artistes et le public qui vient du fond des âges. Ce lien qui est qui nous sommes, sans que nous puissions vraiment définir ce qu'il est. Une énergie partagée qui nous fait sourire, respirer, espérer ensemble dans la création de quelque chose de nouveau. Je crois profondément que nous avons tous besoin de créer et que nous créons toujours dans un lien, visible ou invisible, avec le reste du monde. Il y a quelque chose qui nous relie et dont on ne connait pas le nom. Mais le geste créatif nous révèle ce lien d'amour et de joie qu'il y a entre nous.
C'est certainement en cela que l'art est essentiel. Parce que la vie sans lien n'existe pas. Et que l'art est une expression de ce lien.
Le bonheur que j'ai éprouvé à ouvrir mon coeur et à le relier à chaque personne qui était présente ce soir-là est mon bonheur ultime de créatrice et, je pense, d'être humain. Je ne sais pas si "la beauté sauvera le monde", mais l'amour le fera certainement, parce que je crois que l'amour est la définition même du monde et de qui nous sommes profondément.
J'ai juste envie de dire merci à toutes les personnes merveilleuses qui étaient avec nous ce soir-là. J'ai pu voir mon bonheur sur leurs visages et la chaleur que j'ai ressentie venant d'elles, avant même qu'elles nous la témoignent verbalement, est une réflexion de ce que signifie créer pour moi. Les sourires des uns sont devenus les sourires des autres. Une immense respiration d'humanité pour tout le monde.
La performance a donné naissance à toute une série de nouveaux poèmes que je partagerai avec vous dans les prochains numéros!
En attendant, je vous souhaite un début d'été empli de sourires facétieux et joyeux et de liens riches et lumineux!
Je vous embrasse fort,
Nejda