Magazine Invente-moi le monde N° 7 : "Créer en équilibre"
Ces deux dernières semaines, j’ai été constamment ramenée à l’idée d’équilibre. Peut-être parce que les derniers mois que nous avons vécus et le quotidien que nous continuons à vivre me semblent tellement déséquilibrés. J’ai l’impression de vivre dans une pièce de théâtre irrationnelle faite d’emballements successifs qui malmènent mon sens de la logique et de la raison.
Beaucoup de choses dans lesquelles je crois profondément : la chaleur humaine, les rencontres, l’intelligence au service du bonheur commun, le refus de la peur, semblent avoir disparu brutalement. J’ai le sentiment de vivre dans un chaos permanent fait de beaucoup de bruit, beaucoup de fumée, beaucoup de peur. C’est étrange comme tous ces éléments sont ceux qui définissent en général un état de guerre. Et la guerre est irrationnelle. Elle va à l’encontre de tout ce à quoi l’être humain aspire : la vie, la paix, la création, le bonheur.
J’ai grandi avec des histoires de guerre tout autour de moi. Les histoires que l’on nous racontait étaient très concrètes et très proches de nous. De ce fait, j’ai aussi grandi avec la détermination la plus totale de faire partie d’une génération qui ne reproduirait jamais de tels non-sens. Et je crois que dans tous les récits de guerre, ce qui m’a toujours le plus marqué était le non-sens de ce qui se passait. La violence subie ou infligée rend fou parce qu’elle est le contraire de ce que nous sommes par essence. Elle nous contredit en tant qu’être humain.
Et, en général, ce qui pousse à la violence est la peur. C’est pour cette raison que j’ai toujours considéré la peur comme étant le sentiment dont nous devions nous libérer à tout prix, que cela soit en tant qu’individus ou en tant que sociétés.
Du coup, l’atmosphère de peur constante et de réactions contradictoires et illogiques (parfois, très souvent ?) que nous vivons en ce moment est peut-être plus dur à supporter pour une personne comme moi. Enfin, peut-être est-ce dur pour vous aussi ?
Je me rends compte en tous cas que pour moi c’est extrêmement pesant au niveau intellectuel, presque même plus qu’au niveau du quotidien ou de l’émotionnel. Il y a une partie de mon cerveau qui est en constante rébellion contre ce que je vois autour de moi, parce que je ressens nos comportements comme étant extrêmement contre-productifs et dénués de sens.
Mais comme je n’aime pas les sentiments d’impuissance, d’inquiétude ou de colère, j’ai forcément cherché un chemin qui me ferait m’en éloigner. Et c’est à ce moment-là que le principe du retour à l’équilibre est venu me chantonner à l’oreille. Quoi que l’on fasse pour détruire un équilibre, celui-ci revient s’imposer à nous de gré ou de force. On peut lancer autant de pierres que l’on veut à la surface de l’eau, une fois l’onde de choc passé, le plan d’eau se réorganisera et se rééquilibrera. L’équilibre est notre état naturel et tout dans la nature est toujours engagé dans un processus de retour à l’équilibre.
Cela m’a rappelé ce principe de chorégraphie que m’avait enseigné ma toute première professeure de danse. Elle nous disait toujours : « Tout mouvement chorégraphique nait du mouvement de rétablissement d’un déséquilibre corporel vers un état d’équilibre retrouvé. ». On crée un déséquilibre avec son geste ou sa position et la création chorégraphique consistera à dessiner le chemin jusqu’à ce que le corps soit à nouveau les deux pieds sur terre, en équilibre. Et c’est vrai, on peut sauter, rouler, s’élancer, on va obligatoirement obéir à la gravité à un moment donné et se retrouver à l’équilibre et au repos. Quoi que l’on fasse.
Et pourtant, j’ai l’impression que les artistes créent de tant de manières différentes. Exactement comme j’ai l’impression que les êtres humains créent leur vie de manières tellement différentes les uns des autres.
Mais je pense avoir peut-être compris une chose. Même si nous sommes tous engagés sur un chemin qui nous mène inexorablement à un état d’équilibre, nous ne nous situons pas tous au même endroit sur ce chemin.
Il y a ces artistes qui ne créent que du beau. Il n’y a pas de discours, pas de réthorique. Ils peignent la plus belle fleur, composent la mélodie la plus harmonieuse, l’enchaînement de mots le plus enchanteur. Ils se placent à l’aboutissement du chemin vers l’équilibre. Ils décrivent l’équilibre.
Et il y a ces artistes qui montrent l’horreur ou la souffrance. Ceux qui dénoncent. Ceux qui décrivent la guerre dans l’espoir de la contrer. Ils se placent au tout début du chemin. Ils situent leurs créations dans l’essence même du déséquilibre qui mènera à l’équilibre.
Et enfin il y a les artistes qui sont au milieu du chemin. Ceux qui tentent de créer le mouvement entre le point de départ et le point d’arrivée. Ceux qui parlent. Ceux qui accompagnent. Ceux qui cherche à dessiner le chemin lui-même.
Je fais en général partie de ceux-là. C’est pour cela que je parle beaucoup… C’est pour cela que mes tentatives de « création sans discours » étaient si compliquées pour moi. Je suis quelqu’un qui, de façon générale, crée dans le mouvement et le changement d’un état vers un autre.
Mais la dénonciation ou l’énonciation du déséquilibre initial est primordial. Et la description de l’équilibre final est nécessaire elle aussi.
Nous avons donc besoin de personnes qui dénoncent les déséquilibres qui font mal, de personnes qui connaissent l’état naturel de beauté et d’équilibre et de personnes qui savent créer le voyage de l’un jusqu’à l’autre. Et suivant les circonstances nous pouvons être l’une ou l’autre de ces personnes.
Nous sommes certainement tous en train de rechercher la paix et la note juste qui nous donne l’impression que tout a du sens, mais nous ne le faisons pas de la même manière à chaque instant. Pourtant nous avons besoin les uns des autres et de ces différentes manières de créer pour accomplir le saut du chat qui retombe sur ses pattes…
Personnellement, comme j’aime les aventures, j’aime me situer dans les huit pirouettes consécutives qui permettront au chat de retomber les pattes à l’endroit sur la terre de ses ancêtres… Je vous concède que ce n’est pas forcément le choix le plus reposant… mais j’y suis bien et il me permet de vous parler de toutes ces choses que je vois en chemin.
Je vous souhaite une semaine remplie de passionnantes histoires de retour à de délicieux équilibres !
Et je me souhaite de me souvenir du chemin vers l’équilibre quand je me retrouve suffoquée par les incompréhensions de mon cerveau rebelle qui demande du sens. J’ai une attirance inexorable pour les choses qui sonnent juste. Parfois, cela peut être compliqué à vivre quand tout l’orchestre n’est pas accordé de la même façon, mais cette envie de vérité comme geste artistique, cela je vous en parlerai dans le prochain article de blog !
Passez une merveilleuse semaine !
Je vous embrasse,
Nejda